Michel Garcin-Marrou ou le cor naturel retrouvé Michel Garcin-Marrou a été cette année retraité de ses (nombreuses et prestigieuses) fonctions : Super soliste à l’Orchestre de Paris, Professeur de cor moderne au CNSM de Lyon et Professeur de cor naturel au CNSM de Paris. C’est en tant que « corniste naturel » que j’ai voulu le rencontrer pour cet entretien, car il est non seulement un véritable pionnier de cet instrument en France, mais il est aussi un érudit, un chercheur qui a contribuer à la redécouverte du répertoire français pour cor naturel entre autres en éditant chez Billaudot une série de pièces pour cor. C’est véritablement à lui que l'on doit la redécouverte du cor naturel en France, et s’il a été suivi de près par des cornistes tels que François Mérand, Gilles Rambach ou Camille Leroy, pour ne parler que des gens proches de sa génération, il a accompli un travail que nul autre n’avait fait avant lui et que personne ne peut prétendre mettre en doute. Il est aimé et admiré de ses collègues pour qui il a été une espèce de modèle, et sans son influence, des gens comme ceux cités précédemment, mais également une série d'élèves faisant aujourd'hui autorité dans le milieu de la musique ancienne n’auraient pas fait de carrières réussies au cor naturel telles que nous leur connaissons. Ayant eu personnellement la chance d'étudier le cor naturel avec lui, d'avoir eu l'impression de gagner au fil des ans son estime et sa confiance, et qui plus est en ayant maintenant l’honneur de lui succéder au CNSM de Paris, je voulais lui rendre cet hommage, aussi pour faire savoir aux jeunes cornistes, qui peut-être ne le savent pas toujours, ce que la renaissance du cor naturel en France lui doit. Il a, toute sa carrière durant, travaillé dans l’ombre, dans la discrétion et la modestie, à l'image de sa personnalité pourtant brillante et il fallait bien à un certain moment aller le chercher pour le faire parler de lui-même. Juste pour la petite histoire, quand je lui ai proposé cette interview, il n’a pas vraiment refusé, la politesse étant une autre de ses qualités, mais a plutôt essayé de me convaincre que ce n’était sans doute pas très utile et qu'il y avait vraisemblablement d'autres choses plus intéressantes à faire. Je conclurai donc cette introduction par un constat : il a donc parfois tort, parce que cette rencontre a été pour moi enrichissante, comme je l’espère elle le sera pour vous tous, car elle éclaire certains points de sa pensée rarement exprimés. La conversation se focalisera sur la partie cor naturel de Michel Garcin-Marrou, qui ne représente qu’une facette de ses activités professionnelles. Retrouvez dans la rubrique "Enregistrements" de ce site une liste d'enregistrements où on peut se faire une idée de son talent, et tenez-vous au courant par l'intermédiaire de ce site pour savoir quelles sont les nouvelles éditions qu'il nous prépare. Michel, peux-tu nous raconter comment t’est venu cet intérêt pour le cor naturel ? L’intérêt pour le cor naturel m’est venu d’une très façon surprenante. J’étais élève au conservatoire de Grenoble et un jour est arrivé dans la classe un étudiant anglais. Comme tout anglais cultivé qui se respecte, il était intéressé par les choses anciennes, et un jour il a trouvé un cor naturel chez un antiquaire. Il l’a amené à la classe. Moi, je ne savais pas même pas que c’était un cor naturel. Je voyais simplement un cor ancien, avec un pavillon décoré, magnifique. J’ai bien regardé cet objet qui me paraissait fabuleux et puis voilà, J'étais très jeune, essayant de jouer proprement du cor, et mon intérêt esthétique pour le cor naturel s’est endormi pendant quelques années. Jusqu’au jour où je suis rentré au Conservatoire de Paris. Là, pour je ne sais quelle raison d’ailleurs, je suis allé faire une visite à un antiquaire qui s’appelle Alain Vian - le frère de Boris Vian - et je lui ai demandé s’il pouvait me procurer un cor naturel. Il m’a dit de revenir plus tard et une semaine après, j’avais mon premier cor naturel entre les mains. Je l’ai gardé en l’état pendant un an - je l’ai toujours d’ailleurs - en me demandant bien ce que j’allais en faire et comment j’allais pouvoir en jouer, parce que le cor naturel à l’époque, et ça paraît totalement fou de dire ça maintenant, personne dans mon entourage ne savait plus comment s’en servir. Le cor naturel, on disait plutôt cor simple, était totalement oublié. Dommage ! Mon professeur, Jean Devémy, aurait probablement pu nous apprendre beaucoup dans ce domaine... mais la transmission directe ne s'est pas faite. Peut être que les cornistes de ma génération n'ont pas été suffisamment curieux suffisamment tôt, après tout ! L’enseignement du cor naturel prend maintenant des proportions qu’on ne pouvait pas imaginer à l’époque où tu as entamé ta carrière. Outre la classe de cor naturel dont tu as eu la charge à Aulnay-sous-Bois entre 1986 et 1996, ainsi que la classe de cor naturel que tu as créée au CNSM de Paris en 1996, il y a maintenant des professeurs dans certains conservatoires de France qui enseignent le cor naturel. As-tu l’impression d’y être pour quelque chose et penses-tu que cette propagation soit une bonne chose ? Bien sûr, je trouve même que c’est une très bonne chose. Y être pour quelque chose, par contre, c’est difficile à mesurer. Quand j’ai fait mettre au programme du concours d’entrée à Lyon, donc pour la classe de cor moderne, une épreuve de cor naturel, ou une œuvre à jouer sur le cor naturel, cela m’a valu quelques réactions enflammées de la part de certains de mes collègues qui se sont peut-être trouvés pris en défaut en se disant : "moi je n’ai jamais appris ça, je n’ai pas d’instrument, je ne peux pas l’enseigner, etc.". Mais j’ai pensé que malgré ça, cette démarche vraiment volontaire allait pousser ces excellents collègues en question à s’occuper de tout ça d'un peu plus près. Là, j’ai vraiment prévu ce qui allait ce passer, et les réactions ne m’ont pas étonné. Mais dans tous les cas, l’épreuve de cor naturel au concours d’entrée a toujours été considérée comme un plus, c’est-à-dire que si un étudiant y brillait particulièrement, évidemment, ça participait du vote favorable du jury ; s’il y avait un gros problème ou qu’on voyait que manifestement le candidat n’avait pas eu les conditions requises pour bien se préparer, on oubliait purement et simplement son épreuve de cor naturel ! Ca n’a jamais joué en négatif, seulement en positif, ce qui est bien la moindre des choses. Par contre, il existe des conservatoires où des amis comme François Mérand ou Gilles Rambach (que les autres me pardonnent !) font étudier le cor naturel tout de suite. Je trouve ça excellent et légitime. D’ailleurs, comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, les petits élèves qui jouent des arpèges sur un cor moderne, en gardant le doigt appuyé, jouent du cor naturel. Autant le leur expliquer pour éclairer "culturellement" leur démarche. Quel peut être l’intérêt pour un jeune corniste d’apprendre le cor naturel ? C’est une façon de se réapproprier le cor, d'en revisiter l’apprentissage, en faisant remonter à la surface et de façon consciente des notions qui ont été totalement effacées ou stérilisées par la "modernité". Quand j’ai appris à jouer du cor, j'ai compris que pour telle note il fallait utiliser tel doigté ; un peu comme si j'avais appris à jouer du piano. Je pense qu’il doit y avoir quelques possibilités d'enrichir cette démarche. Sur le cor, chaque ton, chaque tonalité a sa couleur, ses raisons d’être, ses conditions d’emploi. Il s'agit tantôt de mettre en valeur ces changements de couleur, tantôt de les homogénéiser ; tout dépend du répertoire et des circonstances. Dans tous les cas, cette variété de couleurs existe aussi dans l'instrument "moderne" (cor multinaturel), et tout ça, on ne peut le comprendre et se le réapproprier vraiment qu'à travers l’étude du cor naturel. Je me souviens très clairement de la première fois où j'ai eu la chance de jouer la troisième symphonie de Beethoven, l'Héroïque, sur un cor naturel. On passe toute la première page à jouer en mi bémol d’une façon assez soutenue et insistante, on entre vraiment dans la matière et la couleur de ce ton de mi bémol (le ton roi pour tout le 19ème siècle), puis viennent quarante et une mesures à compter. On tourne la page, on change de ton et vient le solo, cor en fa. Alors là, d’un seul coup, c’est un autre monde qui s’ouvre. Moi j’ai eu l’impression de jouer un cor en la ou en si bémol aigu tellement le discours était devenu clair par rapport au mi bémol. Comment connaître çà, ou au moins le comprendre, si on ne pratique pas le cor naturel. Et le cor est tellement important dans ce répertoire romantique ! Quelle est ton opinion quant à la pratique de plus en plus courante de certains instruments anciens et plus particulièrement du cor naturel dans les orchestres modernes traditionnels ? Elle est très mitigée, ou, pour être vraiment précis, très négative ! Je pense qu’à force de mélanger les genres, ou les instruments, on arrive à une espèce de mélasse stylistique ou instrumentale qui n’apporte rien. Souvent, certains chefs d’orchestre qui passent dans les orchestres symphoniques traditionnels modernes font utiliser des trompettes (timbales, dans le meilleur des cas) et cors naturels, pour se "donner des gages d'authenticité" et en font ainsi tout simplement leur fond de commerce. Le beurre et l'argent du beurre ! C’est vraiment une démarche qui ne m’enthousiasme pas. On m'a demandé ça quelques fois à l’Orchestre de Paris et j’ai toujours refusé. C’est quand même paradoxal pour moi d’avoir été amené à refuser de jouer du cor naturel, non ? Que penses-tu de l’évolution du répertoire sur instruments anciens, le fait qu’on joue maintenant non seulement la musique classique et romantique sur instruments anciens, mais également la musique du 19ème siècle, Ravel, Debussy, Stravinsky, etc., avec comme conséquence la pratique du cor à pistons ancien ? Je suis entièrement pour ! Tout simplement par ce que c'est la seule chance que nous ayons d'espérer entendre le son de ces musiques rendu par les instruments pour lesquels elles ont été écrites. Peut être aussi parce que j'ai le même âge que les derniers cors à pistons français ... Bien sûr, là aussi la démarche a ses limites et aucune vérité absolue ne peut en sortir. Je pense néanmoins que finalement, ne resteront au sommet que les orchestres, les instrumentistes, qui seront capables de jouer des musiques sur les instruments qui leur correspondent. Souvenons nous toujours que, réminiscence simplifiée des recherches du 19ème siècle sur les cors omnitoniques, le premier cor double est apparu en 1899, et que toute évolution postérieure à cette date consiste à toujours raccourcir la longueur de l'instrument. Gain de confort pour le corniste (?), mais appauvrissement irrémédiable de la qualité de son ! Que penses-tu de la technique du cor baroque sans trou, sans main, tendance mise en avant en France par notamment Pierre-Yves Madeuf, à l’instar de son frère trompettiste Jean-François. Je suis entièrement favorable à cette approche. Depuis le temps que je visite des musées, que j'examine des instruments anciens, que je lis des publications écrites par des sommités reconnues, je n'ai jamais trouvé la moindre mention de cors à trous ! Et je pense donc que, jusqu'à nouvel ordre, c'est à dire nouvelle découverte, il vaut mieux se passer de trous sur le cor. C'est bien loin d'être le choix de la facilité et, comme l'on dit en invoquant le ciel ; "... ne nous laisse pas succomber à la tentation ...". De ce choix dérivent deux questions ; - comment pouvons nous, nous cornistes, présenter au public des exécutions audibles avec des instruments aussi imparfaits sur certaines notes ? - comment nos employeurs/chefs d'orchestre/autorités omniscientes , alimentant et portés tout à la fois par cette formidable vague de l'utilisation des instruments anciens, sans bien souvent réaliser l'importance du problème que nous avons à résoudre, comment sont-ils prêts à "jouer le jeu" ? Pour certains d'entre eux, la réponse est claire ! En même temps se pose bien sûr la question de l'emploi de la main droite. Pour les musiques d'avant 1750, (c'est bien sûr un ordre d'idées approximatif), je suis pour un emploi économe de la main droite car je pense que l'invention que l'on attribue à Hampel avait dû cheminer par ci par là bien longtemps auparavant, vu la forme de l'instrument. En bref, dés que l'on ne joue plus des "chasses" avec le pavillon en l'air, dès que le cor est employé de façon un peu plus "sophistiquée", employer un peu de main droite ne me parait déraisonnable, bien au contraire. Ensuite, il faudrait parler du voisinage avec nos collègues trompettistes qui emploient les instruments à trous ! Vaste problème ! En fait, toute cette question reste ouverte. Depuis environ un siècle, l’enregistrement audio s’est démocratisé, et est toujours depuis ses origines un moyen qui perpétue la pensée et la présence d’un artiste. Hors, tu as très peu enregistré, ce qu’on regrette très fort. Comment se fait-il que tu ne nous laisses pas plus de témoignages sonores ? Ca s’est trouvé comme ça. Je n’ai jamais été très attiré par l’enregistrement, bien que je ne dénigre pas ça du tout. Je suis le premier d’ailleurs à écouter les enregistrements de divers répertoires. J’ai toujours privilégié l’activité musique vivante, "denrée périssable sans conservateur". C’est une approche du cor un peu écologique, mais je n’en tire aucune espèce de fierté mal placée ni de règle absolue, même à posteriori. La vie a été comme ça, et si elle changeait demain, et bien elle changerait. Disons que ce qui m’a toujours gêné, c’est que dans le milieu musical parisien, ça a toujours été tellement la course pour frapper aux portes, tirer les sonnettes, etc., que j’ai vite compris que ce genre de sport ne m’enthousiasmait pas beaucoup. Et puis, il y a suffisamment d’enregistrements de l’Orchestre de Paris dans lesquels on entend quelque fois un cor solo montrer le bout de son nez. Je n’ai aucun regret par rapport à ça. Peut être cette attitude ressemble-t-elle à celle du renard de la fable de La Fontaine, qui, ne pouvant attraper les raisins, dit avec dédain ; "ces raisins sont trop verts". Tant pis ! De toute ta carrière au cor naturel, de quelles expériences intéressantes pourrais-tu nous parler ? Aucune en particulier, ou toutes en général. J’ai toujours été très intéressé par le milieu, parce que j’y ai trouvé beaucoup de curiosité, beaucoup de remise en cause, et nos collègues qui jouent les instruments dit modernes dans les orchestres n’ont pas vraiment conscience du vrai courage intellectuel dont ont fait preuve un grand nombre de nos collègues qu’on a souvent de façon injustement méprisante qualifiés de "baroqueux". Il y a eu un vrai mouvement de recherche, de remise en cause, ça c’est formidable. Le fait de baigner dans ce milieu, d’y avoir apporté ma contribution, est vraiment le plus important pour moi. Le souvenir marquant qui me restera est paradoxal. J'arrive un soir à la Salle Pleyel ; concert avec l'Orchestre de Paris sous la direction de Wolfgang Sawallich, grand musicien. Au programme la Missa Solemnis de Beethoven. France Musiques est là et enregistre en direct. En sortant de ma voiture, je m'aperçois que je me suis trompé d'étui de cor. Panique, recherches infructueuses pour trouver un instrument de substitution. Heureusement, dans mon étui, avec le cor naturel, il y a les tons adéquats pour la Missa Solemnis. J’ai finalement joué le concert sur cet instrument, et peu s'en sont aperçu ! Grand souvenir ! Aux amateurs de sensations fortes, je conseille d'essayer ! Michel, est-ce que tu as encore des projets maintenant que tu es officiellement à la retraite ? La retraite est simplement la fin d'un contrat entre une personne et son employeur, et je ne me sens pas du tout dans la peau de quelqu’un qui part habiter loin dans l’Antarctique. Je suis toujours musicien, passionné par ce que je fais, et beaucoup de chemin reste (je l'espère) à parcourir. Je vais donc continuer à jouer, ce qui me plait, avec qui me plait, quand cela me plait, ce qui est le privilège de ma nouvelle condition. D’autre part, j’aimerais mener à bien des recherches que j’ai commencées, sur l’historique du cor en France. Il faudrait qu’on arrive à mettre noir sur blanc et à faire paraître un ouvrage qui récapitule un peu le corpus de l'histoire du cor et des cornistes en France, ce qui permettrait de donner aux générations qui nous suivent un outil de travail et de connaissance qui les laisse en contact avec ce qui a été injustement oublié. Il y a encore beaucoup de recherches à faire dans ce domaine mais ça j'aimerais arriver un jour à concevoir un ouvrage collectif. C’est un gros travail que j’aimerais bien être capable de mener jusqu’au bout. Dieu merci, il y a beaucoup de gens qui se sont mis à chercher, et en fédérant un petit peu tout ça, on doit pouvoir y arriver. J’aimerais aussi écrire un ouvrage, un genre de méthode, encore que je n’aime pas beaucoup ce mot, pour le cor naturel, qui ne reproduise pas les méthodes anciennes. Il s'agirait plutôt de donner des clefs d'accès au monde du cor naturel et destiné aux cornistes de notre temps. Partir de la musique de maintenant puis, petit à petit, par décantation, retourner à la source du cor naturel. Je crois qu’il y aurait quelque chose d’intéressant à trouver dans ce domaine. Voilà deux exemples d’activités qui demandent du temps et de la disponibilité. Et puis jouer, enregistrer le concerto pour cor d'Hector Berlioz ! Passionnant, non ? Interview réalisée au CNSM de Paris le 8 juin 2006 pour La revue du Corniste.
|