Le cor dans les symphonies de Brahms

Introduction

Que les quatre symphonies de Brahms soient des chef-d’œuvres, personne ne le niera, non plus qu’elles représentent pour le rôle du cor à l’orchestre un apport essentiel à la littérature de l’instrument.

Quoi d’étonnant dans ces deux affirmations quand on sait que, une fois admis le fait que Brahms fût incontestablement un des plus grands compositeurs de la période romantique, il ne nous a laissé que les pièces dont il était lui-même satisfait. Pas de déchet chez Brahms, le compositeur a fait le ménage lui-même, ne nous laissant que le meilleur de sa production. Le reste fût détruit sans scrupule, et tant pis pour la postérité avide de connaissance et d’information. La musicologie ne pourra plus jamais, comme chez Mozart ou chez Schubert, pour ne citer que deux exemples représentatifs, étudier les esquisses, premières versions et autres partitions inachevées, sinon à quelques très rares exceptions près. On regrettera par exemple de ne plus avoir la première version de la première sérénade opus 11, écrite originellement pour flûte, deux clarinettes, cor, basson, violon, alto, violoncelle et contrebasse, orchestrée par la suite par Brahms lui-même pour grand orchestre avec les bois par deux, quatre cors, deux trompettes, timbales et cordes. Quant à la seconde affirmation, on connaît l’amour de Brahms pour le cor depuis sa plus tendre enfance. Son père Johann Jakob (1806–72), originaire de Basse-Saxe, était musicien. Il jouait apparemment non seulement du cor, mais également de la flûte, du violon et de la contrebasse. En 1826, il s’installe à Hambourg où il gagne sa vie en jouant dans les tavernes et les bals. En 1830, trois ans avant la naissance de Johannes, il accepte un poste de corniste à la milice de la ville, un arrangement pour obtenir sa citoyenneté. Il y restera jusqu’à ses soixante ans, alors qu’entre-temps il joue également de la contrebasse, notamment à partir de 1864 et par l’intermédiaire de son fils, à l’orchestre de la Philharmonie d’Hambourg. C’est donc dans sa jeunesse que Brahms apprendra le cor avec son père. Il apprendra aussi le violoncelle, le violon et le piano, des souvenirs de jeunesse qui lui reviendront en 1865 à la mort de sa mère en écrivant son trio opus 40. Le cor lui tiendra compagnie toute sa vie durant, lui donnant un rôle toujours prépondérant dans ses parties orchestrales, depuis la première sérénade opus 11 précédemment citée, – et qui, en rêvant un peu, n’est pas loin d’être un concerto pour cor – jusqu’à sa dernière œuvre avec orchestre, le double concerto pour violon et violoncelle opus 102 en 1887. La photo ci-dessous témoigne de son attachement à l’instrument. On y voit Brahms en 1883, le cor autour du cou, entouré des membres du club de cors de Vienne.

Brahms (entouré d’un cercle noir) au milieu des cornistes du « Erster Wierner Hornistenclub », 1883

Hormis le trio, il a également laissé des pièces incontournables pour notre instrument, par exemple les quatre chants pour voix de femmes, deux cors et harpe, ainsi qu’un merveilleux arrangement d’un Lied de Schubert, Ellens Zweiter Gesang D. 838, un bijou trop peu connu, décliné en deux versions : une pour soprano, quatre cors et trois bassons ; l’autre pour soprano, chœur de femmes, quatre cors et 2 bassons. A partir de 1887, il n’écrira plus pour l’orchestre, délaissera le cor et tournera son intérêt vers un autre instrument à vent, la clarinette, suite à sa rencontre avec Richard von Mühfeld.

 

 

La situation de la symphonie avant et après Brahms

Le surnom de "10ème symphonie de Beethoven" attribué à la 1ère symphonie de Brahms peut prêter à sourire, mais la comparaison n’est pas totalement injustifiée. Depuis la dernière symphonie de Beethoven, le genre de la symphonie ne va pas très bien, et le nombre de symphonies composées après elle va en déclinant. En 1839, dans un article paru dans le "Neue Zeitschrift für Musik", Schumann s’en plaint et ne reconnaît comme dignes de succéder aux symphonies de Beethoven que la grande symphonie en Ut majeur de Schubert D 940 ainsi que la symphonie fantastique opus 14 de Berlioz. Il sera d’ailleurs lui-même celui qui assurera la transition au genre jusqu’à Bruckner et Brahms en écrivant dans les années 1841 à 1850 des symphonies dignes de leurs prédécesseurs. La "crise" de la symphonie ne fait que se confirmer après Schumann, pour ressusciter ensuite avec Bruch, Bruckner, Brahms, Tchaikovsky, Borodine, Dvorak, Franck, etc.

Les symphonies de l’époque n’étaient pas seulement connues par leurs interprétations en concert avec orchestre, mais les compositeurs arrangeaient ou faisaient arranger leurs œuvres pour piano, piano à 4 mains, 2 pianos ou toute autre formation susceptible d’être jouée à des concerts privés ou des auditions à domicile, pour et par des particuliers, professionnels ou amateurs. L’arrangement était encore au 19ème siècle, et ce jusqu’au début du 20ème siècle, l’équivalent de ce que sont nos CD à l’heure actuelle. Dans le cas de Brahms, il a lui-même arrangé ses 4 symphonies, ainsi que beaucoup d’autres de ses œuvres, symphoniques ou de musique de chambre. Brahms a arrangé et publié les symphonies N° 1 et 2 pour piano à 4 mains, et les symphonies N° 3 et 4 pour 2 pianos.

De nos jours, les 4 symphonies de Brahms sont jouées partout dans le monde, même en France où la musique de Brahms a eu du mal à être acceptée pendant longtemps, sans doute trop germanique pour les goûts plus raffinés des français. Au vu des statistiques, on constate qu’au Philharmonique de Vienne, les symphonies de Brahms arrivent en nombre de fois exécutées tout juste derrière les symphonies de Beethoven ainsi que de la grande symphonie en Ut majeur de Schubert, mais devant n’importe quelle symphonie de Mozart, Schumann, Bruckner ou Mendelssohn. Au Philharmonique de New York, depuis la mort de Brahms en 1897, cinq saisons seulement se sont écoulées sans avoir eu au moins une symphonie à son programme. Les symphonies de Brahms ont donc connu un succès immédiat, à des degrés divers, et on peut parler de continuité dans l’interprétation. A aucun moment, au contraire de Bach par exemple, il n’y a eu d’interruption dans l’histoire de l’interprétation de la musique de Brahms. Est-ce pour autant qu’on peut parler de traditions originelles qui auraient perduré, qui n'auraient jamais changé, comme certains en sont persuadés ? Le meilleur moyen d’argumenter là-dessus est sans doute d’inviter les partisans de cette théorie à écouter les premiers enregistrements des symphonies de Brahms, datant de la première moitié du 20ème siècle et de les comparer avec les enregistrements d’aujourd’hui pour se rendre compte que cette théorie n’est pas défendable.

D’autre part, les instruments ont évolué, et outre les cors et les trompettes, les instruments à cordes qui jouaient encore avec des cordes en boyau au 19ème siècle, les échangent contre celles en métal, au plus tôt après la première guerre mondiale. Cette seule différence de matériel impliquant un changement de jeu, la technique a évolué, les doigtés de violon par exemple ayant changé depuis Brahms. Il suffit de jeter un coup d’oeil à la célèbre méthode de Carl Flesh "Violin Fingering" de 1944 pour voir qu’il rejette bon nombre de doigtés de Joseph Joachim (Joachim étant cet ami de Brahms bien connu notamment pour avoir créé son concerto opus 77).

Serait-il possible de jouer Brahms tel qu’il le faisait si nous avions des enregistrements de ses symphonies dirigées par lui ? Bien sûr que non, et l’intérêt d’imiter si cela était possible serait aussi peu intéressant qu‘absurde, tout autant qu’il serait vain d’imiter telle ou telle interprétation moderne. Il est par contre beaucoup plus intéressant de comprendre les raisons de tel ou tel choix d’interprétation pour en refaire quelque chose de cohérent en rapport avec sa propre personnalité. Par ailleurs, connaître certains points historiques et stylistiques peut non seulement nous rapprocher de l’esprit de Brahms, mais également rendre plus intéressantes nos interprétations parfois embourbées dans des traditions n’ayant plus aucun sens.

Les musiciens solistes et les orchestres à la fin du 19ème et au début du 20ème siècles jouaient avec beaucoup moins de vibrato que maintenant, mais par contre avec beaucoup plus de portamento, notamment à cause des doigtés différents des violons. Effectivement, si on écoute les enregistrements fait au début du siècle par le violoniste Joachim, on entend qu’il joue avec très peu de vibrato par rapport à l’école moderne de violon, et avec plus de portamento. Il en est de même pour la plupart des enregistrements de son époque, jusqu’au 20ème siècle, et ce, bien après la 1ère guerre mondiale.

On sait aussi grâce aux annotations au crayon de Brahms lui-même et par des comptes-rendus de son époque qu’il prenait beaucoup de liberté avec les tempos imprimés. Par exemple, il semblait normal de faire des accelerandos dans les crescendos, chose que l’on évite beaucoup aujourd’hui, et ceci était encore une pratique très courante pendant toute la première moitié du 20ème siècle, comme le confirme l’écoute des enregistrements anciens.

La taille des orchestres quant à elle, n’est finalement peut-être pas un point essentiel, contrairement aux idées reçues. Si on possède bien une lettre de Brahms qui se refusait à augmenter le nombre des instruments à cordes de l’orchestre de Meiningen en 1886 (un des meilleurs mais aussi un des plus petits de l’époque : 49 musiciens en 1885, année de la création de la 4ème symphonie, avec seulement huit premiers violons), on peut supposer par d’autres de ses commentaires qu’il était plus attaché à la qualité de cet orchestre qu’à son volume. L’orchestre du Gewandhaus de Leipzig, ainsi que l’Orchestre Philharmonique de Vienne à la même époque comptait déjà près du double d’instrumentistes.

Toutes les symphonies de Brahms ont été éditées chez Simrock, ancienne maison d’édition créée en 1793 par Nikolaus Simrock, reprise par la suite par son fils Karl Joseph et ensuite par Fritz le petit fils, avec qui Brahms traitera, et de qui il nous reste une correspondance très instructive quant à ses relations avec Brahms. Signalons pour la petite histoire que Fritz Simrock était corniste lui-même, qu’il a donc notamment publié le trio opus 40, mais qu’il l’a également joué avec Brahms au piano.

En 1983 fut fondée à Munich la Johannes-Brahms-Gesamtausgabe qui a pour but de rééditer avec la collaboration de la maison Henle l’intégrale de la musique de Brahms. En ce qui concerne les symphonies, sont parues à ce jour, les symphonies 1, 2 et 3.

 

 

Brahms et le cor naturel

Brahms a-t-il écrit ses symphonies pour le cor naturel ? La réponse est sans hésitation : oui. Cette affirmation mérite toutefois quelques explications.

On sait que Brahms aimait le cor, il en jouait lui-même, ayant appris le cor naturel avec son père. Même si l'Allemagne et les pays germanophones en général - au contraire de la France plus réticente - ont su s'adapter à l’invention des pistons, nombreux étaient ceux, surtout parmi les compositeurs et chefs d'orchestre, qui regrettaient le choix des cornistes, et se plaignaient de ne pas retrouver les couleurs du cor naturel. Bien sûr, certains compositeurs allaient de l'avant sans s’en plaindre, tel Schumann qui lui, était nettement en faveur du nouvel instrument (il n'empêche qu'il était obligé d’écrire ses parties d'orchestre avec les cors 3 et 4 naturels, n'ayant pas l'assurance de trouver partout un pupitre entier jouant des cors à pistons), mais beaucoup d'entre eux étaient conservateurs à ce point de vue là, ce qui était le cas de Brahms. Pour ceux qui n’acceptaient que difficilement le cor à pistons, voire le rejetaient carrément, le manque d'homogénéité reproché au cor naturel n'était pas vu comme un défaut, mais plutôt comme une richesse. Et s'il faut bien admettre que les contraintes du cor naturel ont fini quand même par éclipser l'instrument au profit du nouveau cor à pistons, les compositeurs les plus intelligents tiraient parti d'une façon très adroite des sons bouchés. Ces sons bouchés, tant décriés par les "avant-gardistes" de l’époque, étaient utilisés par ces compositeurs de façon à ce que les couleurs différentes soient placées à des endroits stratégiques de la musique, pour une modulation ou une note importante d’un accord par exemple.

Brahms n'a laissé qu'extrêmement peu d'indication de sons bouchés dans ses parties de cors, et pourtant, il savait qu'il ne pouvait espérer des cornistes de son temps en Allemagne de jouer ses parties de cor sur des cors naturels. Au contraire de Schumann obligé d’écrire partiellement pour le cor naturel à l'orchestre dans les années 1840-1850, Brahms se résignait sans doute à entendre ses parties de cors jouées sur des cors à pistons, mais tout en continuant à écrire pour le cor naturel.

Si on regarde attentivement les parties de cor de Brahms, on voit que c’est le cas, spécialement dans ses symphonies, et on est obligé de constater qu'il a écrit toutes ses parties de cor pour le cor naturel. Tout est jouable sans piston dans ses symphonies, de la première à la dernière note. Pourquoi d'ailleurs Brahms se serait-il "fatigué" à écrire pour des cors en différents tons parfois pas très pratique d'un point de vue purement technique ? Le choix des cors en Ut grave (symphonies 1 et 4), mais également des cors en Si grave (symphonies 1 et 2) ne sont pas anodins. De même, pourquoi aurait-il obligé les cors 3 et 4 dans le 4ème mouvement de la 1ère symphonie à changer de tons, d'abord Mi, puis Mi b, ensuite Fa, si ce n'est pour profiter des harmoniques naturelles des différents tons ? De plus, il suffit de regarder attentivement les parties de cors pour se rendre compte que jamais Brahms ne tire profit des avantages des pistons. Si vous prenez le temps de consulter ces quelques exemples tirés de la 1ère symphonie, peut-être en serez-vous convaincus :

 
1er mouvement, mesure 180. Si Brahms avait écrit ce passage pour des cors à pistons, il aurait de toute évidence écrit un Si b grave au 2ème cor.

       
1er mouvement, mesure 351. Pas de Ré grave au 2ème cor, ce qui laisse supposé que Brahms pensait cor naturel.
      

1er mouvement, mesure 466 et suivantes. Pas de La grave au 4ème cor, même remarque que précédemment.
       
4ème mouvement, mesures 448, puis 450 à 452. Ceci concerne la distribution de l'accord (Do – Fa – La – Do). Très logiquement, Brahms aurait dû donner la note supérieure (Do) au 3ème cor en Fa (ce qui aurait fait un Sol supérieur écrit, note plus confortable qu’un Do au-dessus de la portée sur un cor en Ut grave), mais par ce moyen, il évite un la aigu au 1er cor, note toujours problématique qu’il aurait dû lui donner à la place du 3ème cor.

 

 

Ceci ne sont que quelques exemples parmi d’autres, et une analyse semblable aboutirait à la même conclusion avec les autres symphonies.

Jouer ces parties au cor naturel implique aussi, non seulement des couleurs différentes sur certaines notes, mais également sur des phrases entières. Dans la 2ème symphonie, le solo en Ré majeur des mesures 2 à 5 sonnera complètement différemment sur en cor naturel en Ré que le même solo en Fa majeur, mesures183 à 186. Cela permet de différencier les tonalités et ajoute de l'intérêt aux modulations.

 

Dernier élément, il s'agit de son trio opus 40. En novembre 1865, Brahms écrit de Bâle à son ami Albert Dietrich (un ami de longue date, co-auteur avec Brahms et Schumann de la sonate F-A-E pour violon et piano pour Joseph Joachim) : "… et ton corniste me ferait un grand plaisir s’il faisait comme celui de Carlsruhe (Segisser), c’est-à-dire étudier pendant quelques semaines pour pouvoir le jouer sur le cor naturel ..."

Rappelons encore que l’art ne progresse pas, mais qu’il évolue. Partant de là, et même si c’est une vue de l’esprit, on peut en tirer les mêmes conclusions concernant les instruments. Les progrès du cor à pistons ne sont qu’une façon obtuse de voir les choses et comme nous l’avons démontré, on peut trouver que ces prétendus progrès n’en sont pas. Jouer le cor naturel ou utiliser des sons bouchés pour la musique de Brahms n’est donc pas rétrograde, mais bien une façon de se rapprocher des intentions du compositeur. Il serait toutefois tout aussi idiot de ne pas reconnaître les qualités du cor moderne et de refuser à la musique de Brahms d’être jouée par les instruments d’aujourd’hui.

 

 

Symphonie No 1 Opus 68 en Ut mineur

Instrumentation : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, et cordes

1. Un poco sostenuto / Allegro (cors 1 et 2 en Ut, cors 3 et 4 en Mib)
2. Andante sostenuto (cors 1 et 2 en Mi, cors 3 et 4 tacet)
3. Un poco allegretto e grazioso (cors 1 et 2 en Mib, cors 3 et 4 en Si grave)
4. Finale. Adagio / Piu andante / Allegro non troppo, ma con brio / Più allegro (cors 1 et 2 en Ut, cors 3 et 4 en Mi, Mib et Fa)

Création : 4 novembre 1876 à Karlsruhe, Groβherzoglichge Hofkapelle dirigée par Otto Dessoff.

Autographe : Mouvements 2, 3 et 4 à New York, The Pierpont Morgan Library (1er mouvement ainsi que 1ère version du 2ème mouvement perdus)

 

Des quatre symphonies, la première est celle qui coûté le plus d’effort à Brahms et dont la genèse est la plus longue. A l’instigation de Schumann, dont la rencontre avec Brahms en 1853 est bien connue, il s’attelle dès 1854 au genre symphonique sans y parvenir. Une tentative de première symphonie se transforme en 1er concerto pour piano opus 15, suivie tout de suite de la première sérénade opus 11 en 1858 et de la deuxième sérénade opus 16 en 1859. Dans ces deux premières pièces, les cors y jouent déjà un rôle très important, un rôle concertant comme jamais plus il n’en écrira pour le cor à l’orchestre dans l’opus 11.

En juin 1862, il termine un mouvement d’une symphonie en do mineur qu’il présente à Clara Schumann, et qui est sans doute une esquisse de ce qui deviendra la symphonie en do mineur que nous connaissons aujourd’hui. Néanmoins, il ne poursuit pas ses efforts et se consacre plutôt à la musique de chambre, ce qui aboutira au sextuor à cordes opus 18, aux quatuors avec piano opus 25 et 26, au quintette avec piano opus 34, au sextuor à cordes opus  36 et au trio avec cor opus 40 notamment. A la fin des années 1860 et début des années 1870, il revient à l’orchestre avec les pièces chorales comme le requiem opus 45, la rhapsodie pour alto opus 53, le Schicksalslied Opus 54 et le Triumphlied opus 55. Le requiem est un grand succès et peut-être aide-t-il Brahms à revenir au genre symphonique. Il n’y revient néanmoins pas tout de suite, et produit encore les deux quatuors à cordes opus 51 et les variations sur un thème de Haydn opus 56a, écrites presque simultanément pour deux pianos et pour orchestre.

Le 12 septembre 1868, l’approche d’une symphonie nouvelle se précisant, Brahms envoie une carte postale à Clara où on découvre un thème qui deviendra plus tard un des thèmes du dernier mouvement de la symphonie :

La carte envoyée de Suisse par Brahms à Clara Schumann le 12 septembre 1868 

«C'est ainsi que résonna ce jour la corne du berger : En haut sur la montagne, au fond de la vallée, je te salue mille fois »


Brahms écrit sa symphonie en Do mineur, et très naturellement, utilise quatre cors, comme il le fera dans toute sa musique symphonique, à l’exception de la 2ème sérénade opus 16 (2 cors seulement) et de quelques pièces chorales (le Bregräbnissgesang opus 13, Rinaldo opus 50, la rhapsodie pour alto opus 53, le Schicksalslied opus 54 et Nänie opus 82, tous avec 2 cors). Dans les mouvements extrêmes, deux cors dans le ton principal, et deux autres dans le relatif majeur, procédé utilisé couramment depuis les classiques, les exemples les plus connus étant Haydn et Mozart. Au contraire de ses prédécesseurs, Brahms adopte souvent un ton plus grave pour les cors 1 et 2 que pour les cors 3 et 4. Dans le deuxième mouvement, il n’utilise que deux cors dans le ton principal (Mi majeur). Par contre, dans le troisième mouvement, il utilise très curieusement une paire de cors en Mi b (alors que le mouvement est en La b majeur), et une paire en Si grave (!) n’intervenant il est vrai qu’à partir de la modulation en si mineur (mesure 83) pour moduler ensuite vers Si Majeur. Quelques beaux solos parsèment la symphonie. Citons notamment le solo du mouvement lent, mesure 91 avec levée, doublé à l'octave supérieure par le hautbois, et une octave au-dessus encore par le violon solo, puis dans la continuité, mesure 101 avec levée, tout seul cette fois, accompagné des commentaires du violon solo.

 

Dans l’introduction du dernier mouvement, Brahms donne au 1er cor ce fameux thème de cor des Alpes, mesures 30 à 38. Il est intéressant de noter comment Brahms donne au 2ème cor les notes longues du thème pour aider et renforcer le 1er cor. Puis, il passe la main à la flûte pour ensuite le développer quelque peu aux cors 1 et 2 mesures 52 et suivantes, doublés par la flûte et la clarinette. On pourrait très bien imaginer ce thème joué avec l'harmonique 11 (fa #) naturellement trop basse, exactement comme le ferait un cor des alpes. Ceci serait très facilement réalisable au cor naturel sans corriger cette note.

 

Il y a beaucoup d'endroits où on peut regretter ne pas retrouver les couleurs du cor naturel dans cette symphonie. Par exemple les mesures 361 à 367 dans le 1er mouvement pour les cors 1 et 2, avec la liaison du Mi vers le Ré # bouché ; dans le 2ème mouvement, l'accord de la mesure 60 pour les cors 1 et 2, bouchés tous les deux ; le La b de la mesure 142 au 1er cor dans ce même mouvement ; puis dans le 4ème mouvement, le forte-piano mesure 13 pour les cors 1 et 2 ; les levées fortissimo des mesures 268 et 269. Rappelons que la couleur des cors naturels en Ut grave serait très différente de celles des cors modernes en Si b habituellement utilisés, non seulement de par l'emploi des sons bouchés, mais également parce qu'un cor en Ut grave a une longueur presque double du cor moderne en Si b et par conséquent sonne différemment.

 

 

Symphonie No 2 Opus 73 en Ré Majeur

 

Instrumentation : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, tuba basse, timbales et cordes

1. Allegro non troppo (cors 1 et 2 en Ré, cors 3 et 4 en Mi)
2. Adagio non troppo / L’istesso tempo, ma grazioso (Cors 1 et 2 en Si grave, cors 3 et 4 tacet)
3. Allegretto grazioso, quasi andantino / Presto ma non assai / Tempo primo / Presto ma non assai / Tempo primo (cors 1 en Sol, cor 2 tacet, cors 3 et 4 en Ut grave)
4. Allegro con spirito (cors 1 et 2 en Ré, cors 3 et 4 en Mi)

Création : 30 décembre 1877 à Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, dirigé par Hans Richter

Autographe : New York, The Pierpont Morgan Library

 

Après l’accouchement difficile de la première symphonie, il semble que la deuxième fut facilement et rapidement écrite. Elle est achevée à la fin de l’année 1877, c’est-à-dire un an après la création de la première, alors que Brahms est occupé à la réduction pour piano à 4 mains de sa première symphonie. L’accueil du public et de la critique est nettement plus favorable pour cette deuxième symphonie qu’il ne l’a été pour la première.

L’orchestration de cette deuxième symphonie est un peu plus légère que la première, même si la nomenclature est semblable, mis à part le tuba basse à la place du contrebasson. Les cors sont comme toujours chez Brahms par quatre, en double paire. Dans le premier et le dernier mouvements, les cors 1 et 2 sont dans le ton principal (Ré majeur) alors que les cors 3 et 4 sont en Mi. Les cors donnent le ton (c’est le cas de le dire) dès le début de la symphonie, car les cors 1 et 2 commencent dès la 2ème mesure avec 4 mesures d’un thème principal en Ré majeur, suivis 4 mesures plus loin de la même figure en mi mineur par les cors 3 et 4. Au début du développement, Brahms reprend ce thème joué au 1er cor, cette fois en Fa majeur, mais toujours sur le ton de Ré. Fa majeur sur le ton de Ré sonne d’une façon particulièrement surprenante, surtout en venant de La majeur comme c’est le cas. A la coda, arrive un des plus beaux solos de cor jamais écrit par Brahms, d’une beauté extraordinaire, avec son point culminant sur son La b bouché mesure 469. Ici aussi, les sons bouchés sont un plus qui viennent colorer cette phrase modulante tourmentée.

 

Dans le 2ème mouvement, les cors 1 et 2 sont en Si grave, tonalité difficile parce que très longue, l’instrument ne répondant souvent pas très bien. Par contre, la sonorité de Si grave est très ronde et chaude. Brahms en profite pour y glisser un des autres solos importants de cette 2ème symphonie, pour lequel on aura tout intérêt à pratiquer la respiration circulaire si on ne veut pas se casser trop la tête à savoir où il vaut mieux respirer. Idéalement en effet, à partir de la mesure 20 jusqu’au Mi b de 26, cette phrase devrait être jouée sans interruption. La bonne nouvelle, c’est qu’à partir de la mesure 19 jusqu’au Sol croche de  la mesure 24, le basson double le cor.

 

Pour le 3ème mouvement, la vie des cornistes est plus tranquille. Tout le mouvement sonne d’ailleurs comme un petit divertissement par rapport au sérieux des deux mouvements précédents. Le premier cor en Sol (tonalité principale, Sol majeur) se retrouve seul de sa paire, les cors 3 et 4 étant eux en Ut grave, mais le cor 1 ne joue pratiquement jamais avec les cors 3 et 4, sauf pour les accords finaux.

Dans le 4ème mouvement, 2 passages particulièrement intéressants au cor naturel, ou bien à méditer pour les cornistes modernes voulant colorer de sons bouchés, il s’agit des mesures 214 à 217 avec les Sol # et les Ré # bouchés, et les mesures 363 à 369 en Mi b Majeur pour les cors 1 et 2 en Ré (!). Encore une fois, on a du mal a imaginer Brahms écrire en Mi b Majeur pour des cors en Ré s’il n’avait pas voulu des sons bouchés.

 

 

Symphonie No 3 Opus 90 en fa majeur

 

Instrumentation : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, et cordes

1. Allegro con brio (cors 1 et 2 en Ut, cors 3 et 4 en Fa)
2. Andante (cors 1 et 2I en Ut, cors 3 et 4 tacet)
3. Poco Allegretto (cors 1 et 2 en Ut, cors 3 et 4 tacet)
4. Allegro (cors 1 et 2 en Ut, cors 3 et 4 en Fa)

Création : 2 décembre 1883 à Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, dirigé par Hans Richter

Autographe : Washington, The Library of Congress

 

Six années séparent la deuxième symphonie de la troisième. Ce n’est pas faute d’avoir composé pour l’orchestre, car entre-temps, Brahms a écrit le concerto pour violon opus 77 (1878), l’ouverture pour un festival académique opus 80 et l’ouverture tragique opus 81 (1880), ainsi que le second concerto pour piano opus 83 (1881). La troisième symphonie est sans doute la plus courte des quatre, mais certainement pas la moins intéressante, si toutefois il y en avait une moins intéressante qu’une autre. Ecrite en Fa majeur, avec des conflits presque permanents entre majeur et mineur, les 4 cors sont écrits très classiquement dans le ton principal pour les cors 3 et 4, et à la dominante (Ut) pour les cors 1 et 2. Une fois de plus, Brahms inverse les deux paires de cors, faisant jouer les cors 3 et 4 au-dessus des cors 1 et 2. Dans les 2ème et 3ème mouvements, les cors 3 et 4 se taisent, laissant les cors 1 et 2 en Ut (ils ne changent pas de ton de toute la symphonie), ton principal de ces deux mouvements médians.

Dans le 1er mouvement, Brahms commence par énoncer 3 accords juste avant de commencer son 1er thème, 3 accords qui reviendront à différents endroits de l’œuvre. Les notes principales de ces trois accords sont Fa – La b – Fa, en allemand F-A-F, ce qui a été compris par certains théoriciens comme étant la devise de Kreisler (Frei, aber froh – Libre, mais heureux), à l’opposé de celle de Joseph Joachim (Frei, aber einsam – Libre, mais seul). Si cette théorie est vraie, on peut éventuellement comprendre par là que Brahms ne regrette pas sa décision de ne pas se marier. Et le célibat lui va bien depuis toujours, puisque c’est un motif qu’on retrouve déjà dans sa ballade opus 10 No 2 pour piano, 29 ans avant !

Dans le 1er mouvement, aux mesures 101 à 112, le 1er cor joue le motif F-A-F développé, rejoint par le deuxième cor à la mesure 108.

Le 3ème mouvement, en ut mineur voit apparaître un autre solo de cor dont Brahms a le secret, mesures 41 avec levée jusqu’à la mesure 52.  Il est doublé par le hautbois à l’octave supérieure, et par la flûte 2 octaves au-dessus, instrumentation qui ressemble à celle du solo dans le 2ème mouvement de la 1ère symphonie, mesure 91. Au retour de la partie A, mesure 99 avec levée, ce même thème en do mineur apparaît directement au cor, cette fois complètement seul. Une fois de plus, le cor naturel est incomparable pour jouer cette phrase avec cette tierce mineure bouchée (Mi b), plaintive à souhait.

Dans le 4ème mouvement, à la mesure 52 arrive le deuxième thème en Ut majeur, présenté par le cor 1 doublé des violoncelles, association de timbres tant aimée des romantiques.

Le thème ne présente pas de problème particulier pour le cor, sauf quand il revient à la réexposition, mesure 194, en Fa majeur. Ici se trouve une chose curieuse : le thème très logiquement est joué au 3ème cor en Fa à la place du 1er en Ut lors de l’exposition, mais Brahms insiste pour que le 1er cor joue avec le 3ème à l’unisson, ce qui donne une phrase pour le moins maladroite sur le cor naturel.

 

Symphonie No 4 Opus 98 en mi mineur

 

Instrumentation : 2 flûtes, piccolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, triangle, et cordes

1. Allegro non troppo (cors 1 et 2 en Mi, cors 3 et 4 en Ut)
2. Andante moderato (cors 1 et 2 en Mi, cors 3 et 4 en Ut)
3. Allegro giocoso (cors 1 et 2 en Fa, cors 3 et 4 en Ut)
4. Allegro energico e passionato (cors 1 et 2 en Mi, cors 3 et 4 en Ut)

Création : 25 octobre 1885 à Meiningen, Orchestre de Meiningen, dirigé par Johannes Brahms

Autographe : Zürich, Allgemeine Musikgesellschaft

 

Telle la deuxième symphonie suivant de près la première, la quatrième suivra la troisième de moins de deux années, les symphonies de Brahms ayant été composées par paire, tout au moins dans le temps. On n’en tirera aucune conclusion, non plus qu’à l’énoncé des tonalités de ces quatre symphonies : Do – Ré – Fa – Mi. Non, ce n’est pas un hommage au dernier Mozart, c’est juste un clin d’œil à celui qui admirait Don Giovanni autant que la 5ème symphonie de Beethoven. La création de cette quatrième symphonie fut donnée à Meiningen, où Hans von Bülow était directeur musical, et qui avait à cette époque pour assistant le jeune Richard Strauss pas encore converti au Wagnérisme. Le 24 octobre, Richard écrit à son père : "… un travail colossal, avec une splendeur dans sa conception et dans son invention, le génie du traitement des formes, de la structure, une vigueur et une force exceptionnelles, nouveau mais authentique Brahms de A à Z."

La quatrième symphonie est sans doute celle qui est orchestrée le plus magistralement. Brahms le fait d’une façon plus fouillée que ses symphonies précédentes, privilégiant les associations de couleurs plutôt que les longs solos. Alors que le cor ressortait régulièrement de l’orchestre quand Brahms écrit son premier concerto pour piano opus 15 ou sa sérénade opus 11 en 1858, le cor s’est petit à petit plus intégré à l’orchestre presque 30 ans plus tard. Le cor a quand même toujours un rôle important et est bien irremplaçable dans l’orchestre de Brahms.

Les cors 1 et 2 ont des tonalités plus aiguës que les cors 3 et 4 dans l’entièreté de la symphonie, fait pas si courant chez Brahms que pour ne pas le signaler. Mis à part le 2ème mouvement de la 1ère symphonie, c’est la seule fois où cela arrive dans ses symphonies. La symphonie ne comporte aucun grand solo de l’envergure de ceux qu’on trouvait dans les trois autres, mais est par contre émaillée d’interventions plus belles les unes que les autres. Le cor est vraiment traité comme une des nombreuses couleurs de l’orchestre, et presque toujours doublé ou en tout cas associé à d’autres instruments. Par exemple avec les bassons : cors 1 et 2, 2ème mouvement, mesures 13 à 15, ainsi que 72 à 74, identiques.

Avec les bassons à nouveau : 3ème mouvement, mesure 182 avec levée jusqu’à 187, commençant avec le cor 3, deuxième voix au basson, puis cor 3 et 4 avec les 2 bassons, s’enchaînant avec cors 1 et 3 toujours avec les bassons, et tout ça presque entièrement bouché pour les cors.

Toujours avec les bassons, auxquels s’ajoutent les trombones, 4ème mouvement, m. 117 à 120, l’harmonisation de la deuxième moitié du thème, avec le petit solo du 1er cor mesure 120, sortant de cette masse harmonique tel un rayon de soleil.

 

Dans le premier mouvement, à la mesure 301, on peut entendre une très belle mélodie doublée au violoncelle.

On ne peut pas ne pas citer également le solo des 3ème et 4ème cors (doublés également par les bassons dès la mesure 2) qui ouvre et qui ferme le mouvement lent.

 

Pour terminer, il faut absolument signaler le génial 4ème mouvement, une grande passacaille, leçon d’orchestration inspirée curieusement par l’amour de Brahms pour la musique ancienne. Les derniers mouvements de symphonies en forme de variations ne sont pas si courants, même si on se rappelle le finale célèbre de la 3ème symphonie de Beethoven, l’Héroïque. Ici, un thème de 8 mesures, emprunté à une chaconne dans la cantate BWV 150 de Bach auquel Brahms ajoute un petit chromatisme de passage.

Thème de Bach

 

Thème de Brahms, avec un ajout chromatique (la #)

T

C’est une cantate que Brahms connaissait bien pour l’avoir étudiée et dirigée. Le thème est énoncé au début non pas à la basse, mais bien dans les parties de dessus et harmonisé, puis est varié 30 fois, suivit d’une grande coda.

 

 

Conclusion

On peut regretter de n'avoir plus aujourd'hui que de très rares occasions d'entendre la musique de Brahms jouée sur cor naturel. Dans les orchestres modernes, même sans aller jusqu'à jouer le cor naturel pour des symphonies de Brahms – cela se fait néanmoins de plus en plus pour la musique classique – on pourrait imaginer retrouver un peu de ces couleurs perdues par l'utilisation des sons bouchés ici ou là, en tous cas aux endroits où ils auraient une signification.

On peut toutefois imaginer qu'avec la génération montante des jeunes cornistes d'aujourd'hui, cela a des chances de changer. Un jeune talent à l’esprit curieux et ouvert comme David Guerrier est en train de faire bouger les choses, et en entraîne d’autres à sa suite. De plus en plus de collègues « modernes » montrent aujourd’hui de l’intérêt pour le cor naturel et les chefs d’orchestres venant du monde de la musique ancienne qui dirigent de plus en plus souvent les orchestres modernes traditionnels incitent les instrumentistes à une réflexion allant dans ce sens. De toute façon, au contraire de la musique baroque qui demande des connaissances stylistiques très différentes de ce qu’on a enseigné dans les conservatoires jusqu’il n’y a pas si longtemps, la musique romantique est quand même beaucoup plus proche de l’enseignement musical traditionnel, et sans doute un peu de curiosité de la part des instrumentistes ferait-il l’affaire. Il existe un enregistrement des symphonies de Brahms avec le Scottish Chamber Orchestra dirigé par Charles Mackerras avec des cors viennois que les cornistes jouent en bouchant parfois certaines notes. C’est à ma connaissance un des rares cas d’enregistrements adoptant cette façon de jouer.

En ce qui concerne la pratique « pure et dure » sur instruments anciens, qui depuis quelques années a commencé à explorer le répertoire du 19ème siècle, on est loin d’avoir atteint l’idéal en ce qui concerne la musique romantique. Il n’y a pas encore tellement d’orchestres pratiquant de cette manière la musique de Brahms, mais le contraire serait-il nécessaire ? Des orchestres comme l’Orchestre of the Age of Enlightment avec Simon Rattle, l’Orchestre des Champs-Elysées avec Philippe Herreweghe, Anima Eterna avec Jos van Immerseel, l’Orchestre du 19ème siècle avec Frans Brüggen, le New Queen’s Hall Orchestra ont mis ou mettent encore à leurs programmes si pas les symphonies de Brahms, au moins sa musique symphonique ou vocale avec orchestre. On attend avec impatience que la Chambre Philharmonique d’Emmanuel Krivine programme Brahms également, ce qui ne devrait pas tarder.

Malheureusement, peu de cornistes dans ces orchestres ont franchi le pas du cor à pistons au cor naturel, beaucoup se contentant des cors en Fa à pistons. Dans les enregistrements des symphonies de Brahms datant d’il y a une quinzaine d’années, avec le London Classical Players (orchestre qui n’est plus en activité), dirigé par Roger Norrington, les cornistes utilisent des cors viennois en Fa. Norrington se justifie en expliquant à juste titre que Brahms n’ayant pas eu l’habitude d’entendre ses symphonies sur des cors naturels, ils ont choisi d’utiliser des cors à pistons. La vérité est quelque peu différente. Les cornistes à l’époque des enregistrements n’ont pas voulu s’aventurer à utiliser des cors naturels, et les mêmes cornistes maintenant avouent aujourd’hui qu’ils le feraient si c’était à refaire. Andrew Clark, brillant premier cor dans ces enregistrements utilise d’ailleurs maintenant le cor naturel quand il joue Brahms avec l’Orchestre of the Age of Enlightment. Il a par ailleurs enregistré le trio de Brahms sur cor naturel il n’y a pas si longtemps. A l’inverse, l’Orchestre des Champs Elysées utilise maintenant des cors à pistons en Fa pour Brahms, alors qu’il y a une dizaine d’années, je me rappelle avoir jouer au cor naturel la deuxième symphonie de Brahms avec ce même orchestre. La raison dans ce cas incombe vraisemblablement au chef plus qu’aux cornistes.

Les plus puristes sont incontestablement les musiciens de l’orchestre Anima Eterna, puisque les cornistes de l’orchestre (Ulrich Hübner et Martin Mürner étant les deux cornistes « attitrés », les autres étant engagés suivant le nombre de cors nécessaires) utilisent non seulement des cors naturels pour Brahms, mais pas n’importe lesquels. Ils jouent des instruments naturels germaniques de la deuxième moitié du 19ème siècle quand ils jouent Brahms, et d’autres instruments adaptés chaque fois à l’époque et au lieu de la musique qu’ils jouent.

Sans aller jusque là, et pour terminer cet article, le simple fait de réfléchir à ce genre de problème est déjà positif, car quelque soit la solution des cornistes, rappelons tout d’abord que tout le monde a le droit d’exprimer un avis qui ne serait pas celui de cet article, et qu’ensuite, il faut bien reconnaître que peu de gens préfèreraient entendre les symphonies de Brahms mal jouées sur cor naturel que bien jouées sur des cors modernes.

 

Bibliographie

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